Michel Le Quéré

Les articles de mon blog sont illustrés par des morceaux de musique.  Je ne considère pas ces illustrations sonores comme secondaires.

Mais vous pouvez très bien lire les infos de cet article sans musique. C'est vous qui décidez.

"Voilà ! J'étais revenu dans le pays, le paysage, la parole de mon enfance."

 Jorge Semprun

Quelques notes :

          Tes paupières c'étaient des papillons. Depuis que tu nous as quittés, quand je croise une piéride, un Machaon, un Apollon ou un Bombyx, un phalène du houblon, un nacré de Vénus, un Silène ou même le plus modeste des lépidoptères, le souvenir pétillant de ton visage me saute au cou sans crier gare et me laisse pantois, désarmé, incrédule ainsi qu'en mes trois ans, lorsque la naïve mécanique de mes émotions s'emparait des battements de mon coeur pour les faire dérailler. Tes paupières applaudissaient comme deux anges turbulents s'encourageant à la cueillette du grand bonheur de vivre.

 ...

           Dans la littérature pour enfants, il existe un personnage malheureux que tout le monde nomme Le jamais content. Moi je serais plutôt Le toujours inquiet. Parce que Maman. Je suis en permanence sur le qui-vive ; j'attends ses récriminations, ses plaintes et ses protestations. Elle en veut à qui ? Mais à la terre entière, à la vie, tout simplement. A la guerre, à ses parents, à l'époque, aux traditions, aux détestables circonstances dans lesquelles son existence s'est toujours débattue. Si elle avait été un chat, le jour de sa naissance sûr qu'on l'aurait noyée. Elle ne faisait guère l'affaire, la Colette. Un beau gars à sa place aurait tellement mieux contenté son monde ; son père, sa mère, les vieux quoi, le clan.

...

          J'ai peur de sortir de mes livres. De me retrouver seul et risible dans la rue en pyjama. Et si je refusais de vivre encore ? Le temps dehors est accordé : un gris venteux grognon bien décidé à ne plus masquer les turpitudes cyniques et criminelles des sociétés humaines. C'est déjà ça. Et puis écrire c'est s'entretenir avec le néant, le laisser prendre possession du présent ainsi qu'une gangrène ou une marée sale sournoisement discrète mais irrésistible. Une sorte d'étoile en fin de vie occupée à réfléchir, à choisir la consoeur à la surface de laquelle elle ira se crasher.

...

           Je cultive un buisson d'excellentes raisons de fondre en larmes. Chacune pour s'imposer me cueille et m'abreuve comme une mère nourricière grave, peu aimante, brune, sombre. On dirait la Colette ma mère dont je me rappelle avoir mille fois espéré sa tendresse et ses baisers lorsque j'étais enfant. Excentriques, dépensiers, désordonnés, mes chagrins s'enflamment violemment. Mon âme va se soulevant, sans respecter le moindre rythme. On dirait les coups de tête d'un chevreau assénés dans le pis de sa nourrice.

...

            Au loin la forêt de Tronçais. Une forteresse protectrice de mes cendres proposant leurs services pour nourrir les arbres nouveau-nés, les scions les sauvageons, les arbustes les arbrisseaux, les drageons les baliveaux. Une muraille sur une frontière. Le poste avancé d'une compagnie. Un corps d'armée planté pour résister à toute prétention. Une cohorte de géants placides imbus de leur sage puissance. Epaule contre épaule. A leur pied aucune superficie  lâchée à l'adversaire. Nous nous sommes aimés dans ce pays, le temps d'une nuitée, Francis Cabrel égrène encore cette couvaison.  A l'autre extrémité de la forêt nos épousailles sous l'égide de la patronne du Berry, un pays tout entier se recueillant, sans compter les invités, la fête et ses flots de mangeaille. Au loin la forêt de Tronçais, l'un de mes muets paysages endormis, forteresse dans laquelle je repose en guettant l'improbable ; ça se voit tant que ça que je t'attends ?