Michel Le Quéré

Michel Le Quéré

de n'être rien on n'a que ça ( journal )

 

 

 

 

 


 

 

Les articles de mon blog sont illustrés par des morceaux de musique. Je ne considère pas comme secondaires ces illustrations sonores, mais vous pouvez très bien lire les infos de cet article sans musique.

C'est vous qui décidez.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Se trouver dans un trou, au fond d'un trou,

dans une solitude quasi totale

et découvrir que seule l'écriture vous sauvera."

                                                                                                                                                                                                                    

Marguerite Duras

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

préambule

 

 

Un jour mon père m'a dit : " Tu vois, c'est là que j'aimerais vivre ! "

Nous étions en train d'échanger, dans la buanderie, une pièce de la maison surnommée " la bonne à tout faire ". On y trouve la chaudière du chauffage central et sa réserve à bois, la machine à laver le linge, un évier, des placards dépareillés destinés au stockage des habits de travail et des produits d'entretien. Ce lieu sans grâce aux murs noircis par la fumée n'en est pas moins le coeur ouvrier de la demeure. Il produit chaleur, confort et propreté. Dans l'humilité. Toute ressemblance avec une personne ayant réellement existé n'est pas fortuite. La buanderie de ma maison c'est l'âme de mon père. Et il ajoutait : "J'aurais mis un lit ici, une chaise, et les soirs d'hiver, j'aurais écouté le feu me raconter des histoires ! "

 

Mon père est mort en 1992. Je ne me remets pas de sa disparition. Imaginer une seule seconde que je ne reverrai jamais cet homme me plonge immédiatement dans un effroi sans nom. Alors la buanderie s'est peu à peu installée en moi. Au crépuscule, après le travail et comme il l'aurait fait, je m'assieds sur sa chaise et je hurle mon désespoir. Je ne parviens à un semblant de convalescence provisoire que par une recréation de l'absent. J'engage un dialogue avec la souffrance et je couche aussitôt celui-ci sur le papier. J'écris sinon je meurs. Un journal. Un éphéméride de l'effroi. Une sorte de mélopée de citadelle assiégée. Une autopsie de l'irrémédiable commun à toutes les vies.

 

Mais l'émotion est trop forte pour que je reste seul à la porter. Voilà pourquoi cette trace sanglante sur la toile, brute, impudique et désarmée. Je ne m'épanche pas. Je viens embrasser l'ampleur du fleuve symbolisant cet homme qui était mon père. Il faut le monde à ce héros, à cet orphelin magnifique qui, formellement athée, n'en portait pas moins en lui des étincelles de l'Abbé Pierre.

 

Je le trouve bien à l'image de mon chagrin, ce journal. Un chaos. Tout est ici livré dans le  charivari de la mémoire décidée comme toujours à n'en faire qu'à sa tête. Un désordre d'atelier. Sans doute le petit frère de celui dans lequel je taille le bois, la pierre ou bien encore et là aussi, le désespoir. J'ai tenté, comme Michel Leiris dans le sien, de ne pas, dans ce journal, me "laisser aller à la littérature". Sans doute ai-je échoué. Pourtant, chaque jour, à la tombée de la nuit, ce n'est que la violence de mon ressenti de l'instant qui impose, du plus profond de la relation que j'entretenais avec mon père, le matériau centré sur l'établi de mon atelier d'écriture. Ensuite la rage d'accéder à la métaphore qui convient dans le paysage désespéré du jour. Parce que pour tenter d'élever ce qui reste d'une âme, c'est la marche obligatoire après celle animale du cri. Parce qu'humain encore je cherche à être. Sublimer ma douleur m'importe. Ou plutôt cette démarche s'impose. Viscérale, affamée, apaisante, gratifiante.

Véritable colonne vertébrale de mon cheminement palliatif, voici "De n'être rien on n'a que ça", journal contre la mort.

 

 

 

 

 

journal

 

 

 

20 janvier 2011

 

ici j'entre dans ton âme

je vais faire de cette pièce un chemin de croix

j'aurai à ajuster ma clairvoyance aux coordonnées de ton univers

cet espace clos vient de temps immémoriaux

une protection une chaleur et une source suffisent

parce que tu disais n'être rien

qu'un orphelin est une balise dérivante

tu ne sais pas que le port tant cherché est un ventre maternel

protection chaleur et source

n'est-ce pas que cette trinité te sauve

 

 

22 janvier 2011

 

de n'être rien on n'a que ça

deux semences sans source

deux chairs d'un même projet juste avant leur jonction

dans le coffre

le vase portant l'avenir

le gynécée

 

 

25 janvier 2011

 

je mourrai assis sur ta chaise

en cosmonaute

destination l'indestructible éternité de ce que tu fus

là dans l'humble

dans le sombre condamné

je me prépare à te rejoindre

je costume notre histoire

je remets de l'ordre dans la chevelure de nos étés

 

 

26 janvier 2011

 

c'est terrible tous ces mots qu'il faut brandir pour effrayer la mort

précipitée

militaire

dans la faim

il faudra que son heure soit la nôtre

pour l'instant

à la limite de la raison j'étudie notre lien

je tente de cerner ce que je voulais t'entendre me dire

à la tombée de chaque nuit je referme sur nous le silence de nos voyages parallèles

 

 

28 janvier 2011

 

tu sais tout du dehors

des plaines de l'air et du vent des libertés masquées galopant

de la respiration du ciel t'abandonnant à toi

être aérien embassadeur  du seul paysage me préoccupant

coup d'air

tu sais faire

mais pour le reste non

 

 

29 janvier 2011

 

alors tu cultives à vie ta trinité manquante pour la vision du fruit dans le miroir

ta vie c'était ce rêve d'ouvrir un jour ta porte

au moins une fois avant de disparaître

au titre de la protection

à la chair de la chaleur

au contenu de la source

 

 

31 janvier 2011

 

tu aurais dormi là dans cet enterrement

dans cet atelier de chercheur d'âme

dans cette pauvreté usée passée au noir de fumée

du strict nécessaire

un intérieur de chaumière à la Rembrandt

voeu de chagrin prononcé

pour une solitude attablée au récit personnel improbable

 

 

2 février 2011

 

mais oui tu es prolongement du feu

père et fils à la fois

moi je ne sais rien du froid parce qu'à jamais résident d'une caverne protégée

loin en amont dans l'ossature de ton âme blanche

mais toi

ta pensée transie dans la mastication aveugle du feu de bois

où tu ne sais pas reconnaître le ventre de la seule porteuse qui t'importe

 

 

3 février 2011

 

je t'en ai vu couper des arbres censés nourrir l'hypothèse de ta chair

dans un coin de la pièce que tu aimais

arrimé à mon chagrin

j'observe le feu d'où suinte mon baiser sur ton front

encore chaud

 

 

4 février 2011

 

tu ne craignais pas que la source use la paume

de ton courage

sans doute aurais-tu échangé l'eau de vie de ton questionnement

contre un pur flot de modestie

on aurait dit que tu t'épuisais au travail pour cette récompense

tes mains sous la vague amniotique

tes lèvres au sein clair reconstruit

lors pour apaiser ta soif de bâti

cette jolie caresse sonore dans ta bouche

tendresse échangée dans un dialogue majeur

entre ta volonté d'ange et la cathédrale inachevée dite des onze jours

 

 

5 février 2011

 

l'humilité

cette danse sur la corde raide de l'oubli

je revendique de n'être rien que cette identité de crépuscule

cette besace à chagrin

cette lucidité engluée dans le labyrinthe de l'effacement

est-ce que ton âme aussi portait ces choses souffrantes ?

 

 

8 février 2011

 

les mots couvrent les maux comme on borde le lit d'un enfant

c'est ton visage me contemplant dans mon sommeil d'autrefois

qu'il me reste à sculpter

je n'aspire qu'à ce marbre d'excellence

tout en souriant au mensonge que je m'offre

car qui est mort ?

qui de nous deux et à jamais est le gisant de l'autre ?

 

 

11 février 2011

 

produire du verbe t'épuisait parce que la faille en toi

et dedans cet échange inachevé

ce sein tari comme un silence de cathédrale

pour adoucir les affres de cette fracture

tu t'es sans doute façonné un lumineux contre-langage

des mots à toi restés en toi afin de n'avoir à porter que tes repas premiers

on ne se nourrit jamais que de cette voix lactée-là

 

 

14 février 2011

 

chaque matin

dans la fournaise du chagrin je me redresse sous les coups

de la mélancolie

la dentelle du courage à recoudre

je m'acharne

je ne cède

je retourne sans fin sur mon métier qui est de te nourrir

des lieux fidèles de notre mémoire agenouillée

 

 

15 février 2011

 

comme il peine à avancer ce monde

sans toi

dehors

derrière la double enceinte de mon désespoir les arbres épuisés à la recherche du nid

de tes caresses

s'ils pouvaient trouver ta main

la pierre de lavoir de sa paume compassionnelle où j'aiguisais ma connaissance

 

 

16 février 2011

 

ouvrage de défense que cette version enfantine

du chagrin

enfermé en moi derrière sa contrescarpe

je tente de te traduire

flancher se dit comment dans le langage des étoiles ?

 

 

17 février 2011

 

le courage de la poursuite est le courage de l'oeuvre

jusqu'à l'étonnement fragile de la frontière

ton regard satisfait l'épousant

lors partir te rejoindre dans cette inconsolable perte du vivant

cette victoire du vide

cette sentence assénée

mon unique identité

de nêtre rien sans toi je n'ai que ça

 

 

19 février 2011

 

au pied des marches de ton histoire

élytres épuisées à la vitre insoluble

toute ma tragique incompétence à la sérénité

quel écrivain rédige en moi cette reprise en sous-oeuvre

cette loi beaucoup trop lourde pour les épaules de mon enfance ?

et toujours et toujours cette main courante dans la nuit

ce filet de gravité qui clame

je vous répare Père

sans connaître l'outil ni même le matériau

 

 

21 février 2011

 

ta silhouette inscrite dans l'encadrure

de l'éternité

cette visite que tu me rends parce que tant de naufrages possibles

dans la halte de mon courage

au ruisseau de ma mélancolie tu viens puiser le sang

de ton jardin

comment nommes-tu ces fleurs de sable plantées dans ce silence ?

 

 

 22 février 2011

 

se coucher sous la nuit pour amortir sa chute

en résistant désaltéré à l'eau forte du courage

en Don Quichotte ferraillant contre les petits soldats de la mémoire

se défendre grâce à des dagues élégiaques

des épées métaphoriques

des boucliers sanglés d'alexandrins grandioses

l'étonnement sous la rentrée des larmes

comme ces lents troupeaux sages dans le recueillement de la lumière

en fait rien qu'un pas de gagné dans le gué incertain

 

 

23 février 2011

 

se coucher sous la nuit pour amortir sa chute

ou te rejoindre au noir

passer la rampe musculeuse du soir puis la lâcher pour l'inconnu

éventrer la moisson des souvenirs pour s'arracher le coeur

le vider le remplir par un seul paysage

le référent la métropole

celui des confins bleus de ta douleur

une terre de l'âge d'avant l'humain

ses grands airs de Colombie Britannique

sa solitude désespérée nourrie aux silhouettes de ton identité

 

 

25 février 2011

 

non le bâti du jour ne résiste au désastre

aux serres du crépuscule

au gros temps des autrefois

à la tempête de ton absence engouffrée jusqu'aux recoins de l'âme

les souvenirs heureux drossés dans la plaie du présent

si proche si proche le renoncement sous la rage glacée des éléments vainqueurs

poser cette peur sur la plage d'un livre

ne sauve encore ce soir

 

 

26 février 2011

 

aux deux extrémités de l'existence le même dilemme

de quel jouet ou de quel souvenir se saisir

pour accéder à la rumeur de l'être fondamental ?

mais quel que soit le choix

l'emmaintement produit le père

l'architecture de sa loi qui nous hisse

 

 

27 février 2011

 

toute transcription du lien passe par le pont du Vernet

je suis la patience de cette dentelle d'acier

son nid dans ma respiration

lorsque l'oeuvre me dira le droit

j'écroulerai ma main de cette échelle du courage

de toutes les tombées d'amour l'ultime

stellaire et de fruit liturgique

lorsque l'oeuvre me dira le droit

pour l'instant je m'exerce au passage

 

 

28 février 2011

 

des souvenirs d'enfance comme des blessures qu'on lèche pour effacer le sel

du désespoir

punition ? talisman ? nourriture des étoiles ?

l'auguste cruauté de cette gestuelle de la vie nous broie nous illumine

nous les paludiers du crépuscule

les écumeurs de larmes

les petites mains du rien

notre seul bien

 

 

2 mars 2011

 

nous est un dimanche sans jardin

une visite rendue à des lointains

les mains derrière le dos

ta marche réfléchit la marche de tes pensées

mon pas d'insecte dans le pesant du tien

j'interroge ton silence gros de quoi ?

de moi ?

des semailles du mois ou des moissons auxquelles pourquoi toi

tu n'as pas droit ?

 

 

3 mars 2011

 

chaque ébauche de printemps secoue l'architecture de ta quête

réamorce ta croisade

quelle déesse vas-tu ensemencer ?

pour quelle naissance quel fils quel petit végétal doté de tes atomes ?

oui jardiner c'est dire Mère recommencez-moi

mes racines en votre ventre

et l'avenir en frondaisons touchant le ciel

ta terre cette mère qui ne t'explique pas son geste vide

 

 

4 mars 2011

 

parler de toi aux hommes m'engendre soc

me rend disponible à la moindre floraison de dignité

rassemble des troupeaux de courages sauvages

je ne me rappelle pas avoir oublié d'être

ton fils

 

 

5 mars 2011

 

concrétion de ton silence

ce poème qui creuse plus loin que la pudeur

et qui aimerait tant dresser le pont

entre tes larmes d'enfant et la rive paisible de leur cause

dite

 

 

6 mars 2011

 

après avoir longtemps grossi du rien des horizons

deux navires se sont croisés

à l'abordage de la tendresse n'ont pas su se résoudre

sans doute marcher vers l'autre nourrissait

échanger les parfums des parcours apaisait

mais la force des courants contraires

l'irrémédiable et linéaire arrachement

deux vies qui se séparent pour rejoindre chacune son port imaginaire

du rien

le remords par l'élingue laissée de côté

le remords

cet enfant naturel de la pudeur qui empêche les navires de s'accoster

à l'instant où l'amour les a fait se croiser

 

 

8 mars 2011

 

cette couronne de crépuscule à ton front corvéable

et que tu déposais aux pieds de tes enfants

chaque soir

dans la halte écourtée de ton métier de chien

une gloire désaltérante qu'on allongeait de sirop de groseilles

la tête en l'air et le rire fou

sans reconnaître la plage de nos jeux

ton âme de silence fourbu piochée d'abnégation

 

 

9 mars 2011

 

comme il souffre le voyage que je n'ai pas su t'offrir

cette traversée d'amour filial sur du qui-vive apprivoisé

ce compagnonnage ouvrier au parallélisme peut-être défaillant

sur la fin

pour qu'il m'arrive encore cette main d'enfant

dans les blessures de la tienne

 

 

10 mars 2011

 

s'agripper à la respiration du jour

s'acharner dans la conciliation pour démontrer le théorème de l'irréversible

avec plein d'Annie Girardot dans la conscience du manque

survivre sur le filin du paroxysme

en s'arrachant délicieusement le coeur pour étancher sa soif

de passé simple

longtemps à cette amphore où les mille ans de ta tendresse de père

 

 

11 mars 2011

 

je polis chaque fin de jour pour guider ta lumière

jusqu'à ce faire faute

ta civilité entre en moi par ce bief

je taille la pierre pour l'aube de cette raison

au moulin de mon enfance tu portes encore tant de ruisseaux

de savoir vivre

 

 

12 mars 2011

 

cloué à l'épicentre de mon tremblement de père

guenille restante je me disloque

dans chaque crépuscule ta mort forçant la porte de mon coeur d'oiseau

une faille sous-marine d'une telle éloquence

que le chagrin engouffré là peut boire jusqu'aux étoiles

 

 

13 mars 2011

 

certains soirs je m'apprête au passage

dans un apaisement de plaine parturiente

je me laisse porter à te rendre mon âme

nous jouons sans un geste l'abouchement de deux planètes aveugles

nous nous sommes tant cherchés

il était temps

 

 

14 mars 2011

 

ta vie un Jean Moulin dans la douleur

une résistance granit incontournable

imperméable tant aux salissures des mille petites nuitées assassines

de la barbarie

t'entendre rire de toi

la seule couronne que tu portas

comme ces héros qu'on croise dans la rue

sans le savoir

le cheminement doux articulé au fraternel

 

 

15 mars 2011

 

ta vie un Claude Monet dans la chaleur

un soleil combattant aux prises avec la brume des origines

un coeur boîte de crayons de couleurs donnant de l'enfance au sentiment

mais de l'ombre

ici ou là et en secret portée

dans la palpitation de ton humilité

n'est-ce pas que le monde vibre au travers des larmes suspendues 

 

 

16 mars 2011

 

en toute sournoiserie les hordes céladon persécutant l'hiver

qu'il vacille et l'épouvante renaîtra

parmi les verts les glauques les olivâtres

toutes ces légions maudites en éclaireuses préparant la douleur

à la douleur

chaque printemps te ramène nous fuyant

l'anniversaire de ta mort lors des fêtes de vie

tu poussas ta part humaine jusqu'à cette transfiguration

 

 

17 mars 2011

 

parce que le visage inconnu dedans le médaillon

pierre précieuse muette et glacée

chaînon manquant à inventer

ton âme devenue ce sertisseur de dignité

à souder l'infantile verroterie de mes inconséquences

à polir notre alliance pour te sauver toi-même par toi-même

quel joyau d'élégance que ton identité d'orfèvre

en parentalité

 

 

18 mars 2011

 

l'arbre dans la cour étend de la paille d'or pour coucher toutes les bêtes

de lumière

dans mon poste d'écriture je m'arrime pour le séisme

cérémonie pour une église crépusculaire

je lâche enfin la main du rouge effroi

parce que tout à coup

dans l'encadrement de la porte mémorielle

la silhouette ourlée par un si vaste amour

tu es là revenu d'effroyables jardins

pour effacer l'inconcevable

 

 

20 mars 2011

 

parler de toi au monde cautérise le poème en sa plaie animale

apaise les sanglots de son échine primaire destructurée

rassemble le troupeau des peurs pour les forcer à définir leur cri

dans l'écoute des humains

je dépose l'insecte parfait de l'effroi

ces mémoires cette plainte ce marbre cette courroie 

pour te sauver sans doute

et moi à travers toi

 

 

21 mars 2011

 

dans l'énergie du monde à boucler les saisons

le rouage socratique de ta perception

toujours je surprendrai le végétal à l'écoute

de tes gestes

parce qu'éventrée la mémoire

où tu déposes encore la semence des chemins pour grandir

chaque hiver en avril me recouvre au sillon

de ton silence

 

 

22 mars 2011

 

en tête à tête avec ta loi

je me cousais de patrimoine et d'or

ton récit de la vie ma fortune

mes mains pleines et ventrues à force de prendre ta parole

ébruiter tes secrets dévoilait mon oeuvre

dans le jardin de ta voix des semences de sens nommées

et puis soudain cette soustraction crépusculaire

trouver visage de bois

les scellés sur ton sourire

ne pouvoir plus te conjuguer qu'à l'imparfait

ce que j'étais d'heureux nié

t'avoir perdu c'est ne plus être que rien

une brume d'atome orphelin

 

 

24 mars 2011

 

sous quel visage ai-je figuré dans la cité heureuse de ton âme ?

ce royaume qui tant connut la violence de la vie

où tu te sauvais par les ordres que tu t'infligeais

tu n'en avais jamais fini de l'irrémédiablement là

de l'effort renaissant des décombres du travail accompli

maître et esclave en toi toujours à ne jamais déléguer

le labeur

le courage t'allait si bien parce que forme de jardin à prendre et à reprendre

sans fin

je ne parviens pas à m'inscrire dans la perpétuelle convalescence

de ton âme

je suis malade de l'ici et du maintenant puisque tu es parti

et que tu étais le présent

 

 

25 mars 2011

 

les mots s'arrêtent parfois juste au bord de la vie

ils m'abandonnent au cri

ils me livrent à la plainte

je prends alors en moi la place d'une bête épuisée qui se meurt sous les coups

du remords

je tiens parfois longtemps dans cette barbarie

si pure la souffrance animale

capable seule d'approcher la chair

du souvenir

 

 

26 mars 2011

 

je t'écris d'un tombeau

d'une escale journalière ouverte au repliement

dehors le crépuscule en salle d'attente où piaffent les souvenirs

lequel d'entre eux ce soir est de corvée de noir ?

par quelle arme va-t-il me passer ?

le cassant d'un hiver ?

la fusion d'un été ?

ne retiens pas sa main

j'en appelle au chagrin 

 

 

27 mars 2011

 

dans la poitrine du feu

cette locomotive ronflante qui étire le chagrin

je suis encore monté dans ce voyage

le futur à l'abandon dans l'atelier

le présent bombardé par l'envie de rechausser ma vie d'enfant

les paysages qui défilent me préparent au costume

de communiant

ma première cravate que tu noues

dans l'écorce rugueuse de tes mains

le joli bruit qu'elles chantent en cheminant dans mon bonheur d'être

ton fils

 

 

28 mars 2011

 

l'atelier d'écriture un nid au chaud dans ta présence

une couche animale éblouie par la vie

ce que je suis

dedans

dans la fratrie

à mijoter dans l'insouciance repue l'espace d'un crépuscule

d'une randonnée dans des jadis perdus

d'une tétée au sein de la mémoire

les yeux clos dans la fourrure de la reconnaissance

 

 

29 mars 2011

 

à bord de l'un de tes silences une fois embarquer

pour le cheminement

la soif de paysage

la surprise au détour d'un questionnement

la défaite dans l'ouverture d'une plaine de découragement

la gloire à la sortie d'un défilé de libertés

donner la main à ta pensée pour savoir où tu allais

te perdre

dans quel taillis de chagrin ?

dans quelle futaie de résilience ?

à la recherche de quel jardin initiatique ?

un voyage dans la pensée de mon père ?

il était une fois une planète dans une lointaine galaxie

 

 

30 mars 2011

 

l'anniversaire de ta disparition ?

mais la terre s'en charge

par des poussées d'enfance du vagissement de l'éclaircie   

ton souvenir en résidence n'a qu'à ouvrir les bras

dans la marche des fleurs tu me reconnaîtras

je suis la maladive la noire la désarmée

du château des jardins tu pars discipliner le monde

tu es partout

tu sèmes tu plantes tu vivifies

ma main cherche l'outil dans ta main enseignante

le compas des grandes réparations

capable de rendre à un l'enfant le visible et la chair de son père

ne serait-ce qu'un instant

 

 

31 mars 2011

 

demain tu t'en iras en chantant Aragon

pour sauver de la France profonde les blés

le réséda

l'amour gigantesque des tiens

tu partiras pour le courage car tu ne sais rien d'autre que les mots simples

de la lumière

tu t'es précipité pour protéger un monde qui ne t'a rien donné

je sais que tu chantais de n'être rien on n'a que ça

et Aragon émerveillé te salua

ton coeur léger dans les combats

jamais ne fit le délicat

demain tu t'en iras comme ces héros

qui ne reviennent pas

 

 

1 er avril 2011

 

l'anniversaire de ta disparition ?

un gâteau de famille où les bougies des chants d'oiseaux

dans une poussée vert tendre grimpant à la vie

un seul restant d'hiver

ma rage froide à te penser

mourant

loin en amont

l'épée d'une haine fondamentale qui fouille mes entrailles

à la recherche du chagrin que ce soir je lui refuse

 

 

2 avril 2011

 

ton âme étant la réponse à la supplique des jardins

tu as laissé mourir le feu

et puis tu t'es jeté dehors dans les odeurs d'humus

l'instant d'après le paysage tout entier pendu à ton épaule

seul dans la pièce que tu aimais

élément du décor

fragment de rien

je me verse du silence dans les veines

un remède écrivain qui élève avec soin

le beau mensonge selon lequel

jusqu'à l'hiver prochain

tu ne serais parti qu'en ton jardin

ce qui m'aiguise au moins la larme du possible

 

 

3 avril 2011

 

de mon poste d'écriture juste un mouchoir de ciel qui file

vers l'enfance

se frotter à l'insurmontable perte du vivant

un soupirail d'âmes légères qui se déchire

au deuil frontal de la raison

inouï que toujours tu tarderas

insaisissable et pourtant là

tellement là

dans les coups que s'échangent la vaillance et l'abattement

tellement là que j'ai encore et à l'instant tendu mes mains

vers toi

 

 

4 avril 2011

 

dans le provisoire de la victoire du courage

l'oeuvre arrachée aux griffes du cri

à la mauvaise raison de la mélancolie

bilan qui sauve que cette sculpture littéraire

le temps d'un pont sur le fleuve du deuil

de ta mort à la mienne je n'ai que ça

ce lien qui cherche et trouve sa dentelle de granit

cette langue paternelle polie par le chagrin

 

 

5 avril 2011

 

l'atelier d'écriture ton église où je renonce au monde pour le mystère

du souvenir

par la discipline du recueillement

ta silhouette tout à coup s'incarnant dans la source de l'horizon

le même vitrail où la lumière de mon amour te transperce

l'autel modeste de ma force d'écrire

dressé contre ta poitrine

dans la cérémonie du face à face avec moi-même

si proche d'une divine hébétude

ma foi dans la beauté de ton âme

je marchais pourtant dans l'impossible de croire

 

 

6 avril 2011

 

ce journal ta sépulture

tu as laissé sa porte ouverte

ton empreinte initiatique dans laquelle désormais

je niche pour trois saisons

parce que tu pars cultiver ton enfance douloureuse

et je n'ai pas de place dans tout ce végétal souffrant

ça ne fait rien

nous renouerons l'hiver prochain

en attendant

infinitésimale fraction de résistance 

je ne vais être que ça

cet accident

cette rage 

ce rien que tu sculptas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



06/02/2011
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